Sergio Bizzio – Borgstein (Extraits) [Christian Bourgois Editeur // 2014]

Le perroquet s’était habitué à l’étagère du placard et je n’ai pas pu le transporter à un endroit qui aurait nécessité mois d’hygiène (je le déplaçais et il rebroussait immédiatement chemin), aussi ai-je mis dessous des pages de journal pliées en quatre, comme un tapis, auxquelles il s’est habitué aussi et que je changeais touts les jours
Pourtant je ne dis pas qu’il était capricieux. Il aimait cet endroit, c’est tout. Au départ, il m’a semblé qu’il s’étais pris d’affection pour deux objets : une grande tasse de faïence blanche à l’anse de laquelle il s’accrochait parfois tantôt avec le bec tantôt avec les pattes, et une boîte de thé illustrée par un chinois souriant qui faisait un clin d’œil, mais je n’ai pas tardé à découvrir que la véritable raison était la prise. Le perroquet descendait en effet de plus en plus souvent sur le plan de travail pour mettre sa patte dans la prise : il était désormais accro à l’électricité. Et il maitrisait avec une grande dextérité le temps d’exposition : jamais plus de trois secondes. Les barbes des plumes, immédiatement enflammées, se dressaient, il tremblait et ses yeux semblaient tripler de volume tandis que sa langue pendait de son bec entrouvert. Quelques secondes plus tard, il retirait sa patte de la prise sans aucun problème, ses plumes se plaquaient de nouveau à son corps et ses yeux retrouvaient leur centre. Satisfait, il retournait sur son étagère, la langue pendante.


Je vais résumer une soirée horrible :il n’y avait qu’elle, son mari et moi.
Ils ne me laissaient pas rentrer chez moi. Tout était long, lent et vétilleux. Long le chemin du portail à la maison, lent le cognac, vétilleux le dialogue. Longs les fusils montrés par le mari, lente la cuisson du repas, vétilleuse la description de son pouvoir. Long le temps entre les plats, lente la bonne qui nous servait, vétilleux l’interrogatoire qu’ils me faisaient subir. Bien après minuit, quand à long, lent et vétilleux, il eût été judicieux d’ajouter pâteux, j’ai réussi à me lever et, avec grossièreté (« je n’en peux plus »), à m’en aller sans les offenser : au fond eux non plus, n’en pouvaient plus.
Je suis arrivé à la maison l’estomac plein, ivre, à la fois vide et las. Je crois que j’ai entendus Gualicho pendu à une branche. J’ai pensé : « Il attend que j’entre et enlève le chargeur de la prise. » Je me suis dit : « Je vais lui faire se plaisir. » J’ai parcouru ainsi (entre ce que je pesais et ce que je me disais) les cinquante mètres qui me séparaient de la maison.
Je n’étais pas encore arrivé sur le pas de la porte que, tout à coup, une ombre s’est précipitée confusément sur moi. Je l’ai reconnue à l’odeur. L’odeur des psychoses paranoïaques, l’odeur des voix qu’enjoignaient de me tuer.

©Sergio Bizzio – Borgstein (Extraits) [Christian Bourgois Editeur // 2014]

©Image : Travis Chapman (https://www.instagram.com/travis_chapman_artist/)

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